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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 01:49

J'ai environ six ans, c'est l'hiver.
C'est le matin, très tôt, la maison est encore obscure et calme.
La famille se réveille, je suis en pyjama.

Ça frappe à la porte d'entrée.
Mais pas à celle du sud, par laquelle on passe.
C'est à La Porte d'Entrée, L'Officielle, celle du nord, la froide, 
celle que les gens qu'on aime n'utilisent jamais.


Au travers du glacial verre dépoli,
je vois se tenir une forme dans la lumière diffuse et grise.
Ça fait humain, mais c'est un peu trop grand. Un peu trop maigre.
Un peu trop rouge.

Qui ouvre la porte?
Moi? Mon père? L'une de mes sœurs? Ma mère?
Peut-être était-ce lui-même...

Il me pétrifie.
C'est le père Noël.
Son manteau rouge et flasque cache un vide terrifiant.
Il essaie de le dissimuler, mais je vois bien que sous son manteau,

il n'y a rien.
Les manches flottent.
Il n'a pas de corps.
Il n'est qu'une tête de ken en plastique,

directement fichée sur une paire d'échasses.
Il a mis des chaussures en bas des bouts de bois, pour faire illusion.
Il est trop grand, trop maigre, trop vide, ses cheveux sont trop en plastique, son sourire aussi.

Il est fait comme un dessin d'enfant;
un bonhomme sans ventre, juste une tête souriante,
avec des jambes trop longues pour remplacer l'espace manquant.

Il est fait comme un dessin d'enfant, mais avec des objets réels.
Des concepts d'adultes, destinés aux enfants.

Il est structuré par une logique d'enfant, mais se compose de choses affreuses...
Cette horrible tête qui fige cet horrible idéal masculin...
Ce manteau criard (c'est un rouge très moche) qui pue lui aussi l'artifice,
ce cache-misère qui dissimule ces bois de potence... Ce vide qui sent la mort.



Son anatomie est atroce. Ce truc n'est pas viable.

Mais il est là,

et

il se tient.



Toute ma famille est saisie d'effroi.
Toute ma famille a peur du père noël.
Toute ma famille a toujours eu peur du père noël.
C'est comme si elle s'attendait à ce que sa visite arrive un jour,
et que ce moment redoutable était enfin là.

Je cours me cacher sous les coussins des fauteuils du salon.
Je suis assez petite pour ressembler à un coussin.
Ma famille se disperse.
Où vont-ils se cacher, eux?

Sur le carrelage, j'entend ses lents pas sinistres, irrévocables.

 

(rêvé vers 1988)

 

dessins d'enfant

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